"Il faut cultiver notre jardin"

mercredi 5 mai 2021

Le baron perché en BD

Petit passage à la bibliothèque : une nouvelle BD attire mon œil. Il s'agit du Baron Perché d'Italo Calvino, adapté par Claire Martin. J'ai relu ce roman il y a quelques mois avec délices et ai apprécié l'hommage que rend à l'esprit des Lumières le facétieux Calvino.

Petit rappel de l'intrigue. En 1767, le jeune Côme, 12 ans, baron du Rondeau, monte dans un arbre et décide de ne plus jamais en descendre. Des années plus tard, toujours perché, le baron séduit une marquise fantasque et reçoit Napoléon en grande pompe. 

Une jolie adaptation du conte philosophique d'I. Calvino. Les dessins sont doux et lumineux; une belle utilisation des pastels. Quelques libertés certes mais dans l'esprit du conte d'origine.

@ lire !

jeudi 22 avril 2021

L'autre moitié de soi de Brit Bennett

Tant qu'à faire une formation Podcast, je vous pose là mon premier essai. Certes il est largement perfectible car y a encore plein de choses à régler : son trop fort au début, amorce abrupte etc... mais je ne résiste pas au plaisir de partager une très belle lecture.

jeudi 15 avril 2021

BD à gogo

 Vacances précoces, c'est aussi le moment de se plonger dans quelques volumes dessinés.

Dans Il fallait que je vous le dise, Aude Mermilliod aborde avec sincérité et force la question de l'IVG. Sa rencontre avec Martin Winckler - célèbre médecin romancier ayant épousé la cause des femmes- fut déterminante. Elle nous raconte donc de l'intérieur l'épreuve que constitue l'IVG : sentiments contradictoires, peur, douleurs, souffrance, elle n'y va pas par quatre chemins et se raconte. Dans la deuxième partie, elle évoque sa rencontre avec Marc Zaffran médecin engagé contre les violences obstétricales. La BD se fait récit de l'avortement par celle qui le subit et par celui qui le pratique. Deux parties distinctes (je préfère la seconde) où deux voix se rejoignent et se mêlent dans la revendication de la liberté à disposer de son corps. Cette BD n'est pas forcément parfaite mais elle est juste et vraie. 

Voltaire le culte de l'ironie de Beuriot et Richelle nous offre une plongée dans la vie du grand philosophe.


Celui-ci, au crépuscule de sa vie, reçoit dans son château de Ferney, un certain Lassalle qui souhaite écrire une biographie. Au gré des échanges, les deux hommes reviennent sur les épisodes marquants de la vie du sieur Arouet. Et c'est avec plaisir que l'on relit ses hauts faits d'armes, que l'on revient sur sa jeunesse et ses frasques mais aussi que l'on retrouve certains de ses grands combats (Calas, le chevalier de la Barre). C'est aussi le Voltaire intime qui nous est dépeint, sa vie sentimentale et intellectuelle - notamment avec Émilie du Châtelet - mais aussi ses contradictions internes (son dégoût de l'infâme et la restauration d'une Église, sa générosité à l'encontre des pauvres et sa soif de profit, sa critique des puissants et son esprit courtisan. Bref, c'est l'homme dans sa vérité nue, englué dans ses contradictions qui est campé dans ces pages. On y passe sans transition du présent (celui de l'époque) au passé, sans que rien n'avertisse de ce récit rétrospectif, ce qui est parfois déroutant. par ailleurs, les traits de Voltaire ne sont pas très réussis et l'on peine parfois à distinguer certains personnages des autres. Un travail indéniable en terme de recherches historiques mais aussi de colorisation. Une BD agréable qui fait renaître la malice, l'esprit et l'ironie d'un auteur qui a mis sa plume au service des ses idées.

 

Les Zola de Meliane Marcaggi et Alice Chemana est une belle BD au graphisme très réussi. Elles nous racontent le Zola intime de ses débuts jusqu'à sa mort. Et c'est surtout à l'homme que les auteurs s'intéressent, à l'homme et aux femmes qui n'ont jamais cessé de l'accompagner toute sa vie. On le suit à ses débuts et auprès de ses amis, figures artistiques majeures en devenir (Cézanne, Monet, Manet, etc.). Il fait la rencontre de la vivante et énigmatique Alexandrine, alias Gabrielle, devenue modèle afin d'échapper à sa condition d'ouvrière.Et c'est elle qui va sans relâche, non sans douleur, le soutenir et l'engager à suivre sa voie d'écrivain. Un beau portrait de femme forte et digne, reléguée dans l'ombre mais essentielle au triomphe de Zola. Des aquarelles superbes qui donnent parfaitement à voir l'atmosphère. Une réussite !

 


Migrant
de Giovanni Rigano (dessins), Eoin Colfer et Andrew Donkin est un album coup de poing qui nous entraîne sur la route d'Ebbo, bien destiné à rallier l'Europe pour y retrouver sa sœur Sisi. Avec Kwame son frère, il va affronter la violence, les dangers, la cupidité des passeurs qui font commerce du désespoir d'hommes, de femmes et d'enfants. Du Ghana à un minuscule canot pneumatique perdu en Méditerranée en passant par le désert, Ebbo aura tout vécu et tout connu. Le mépris des jeunes de son village à l'égard de sa sœur partie, la peur d'avoir été abandonné par son frère Kwame, la soif intense, la débrouille et les menus boulots pour récolter pièce après pièce le pécule destiné à payer leur passage, la violence et la cupidité, la peur permanente de mourir, sans jamais pourtant perdre l'espoir. Ebo, petit migrant à la voix d'ange n'a de cesse de réconforter son frère, très protecteur à son égard, et leurs amis rencontrés au gré de leur périple. Ce récit, raconté avec une alternance entre le passé et le présent retrace le périple éprouvant de ce personnage fictif dont la vie est imprégnée de toutes celles des migrants qui, chaque jour, cherchent à atteindre l'Eldorado que représente l'Europe à leurs yeux. Ce récit rappelle les conditions atroces dans lesquelles des individus traversent et meurent mais il révèle aussi la solidarité qui lie tous ces compagnons d'infortune, victimes de violences et de racket quand ce n'est pas la mort qui met un point final à leurs rêves de vie meilleure. Un récit touchant et essentiel.

"Vous qui qualifiez les étrangers d'"illégaux", vous devez comprendre qu'aucun être humain n'est "illégal. C'est un contresens. Les êtres humains peuvent être beaux, voire très beaux, ils peuvent être gros ou minces, ils peuvent avoir raison ou tort, mais "illégal" comment un être humain peut-il être "illégal" ? "Elie Wiesel

mardi 13 avril 2021

D'un Goncourt à l'autre

 Début des vacances forcées, je fonce, comme nombre d'entre nous, au CDI du lycée remplir mon tote bag afin d'aérer les ouvrages qui peuplent les étagères de ce lieu. Et, sans le faire exprès, j'emporte avec moi deux Goncourt. Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu (2018) et L'ordre du jour d'Eric Vuillard (2017)

Le premier nous plonge dans l'univers des hauts fourneaux à l'arrêt, dans une vallée désindustrialisée de l'Est où le temps se traîne, surtout l'été quand on ne sait pas vraiment que faire pour s'occuper. On peut toujours se rendre au bord du lac, essayer d'y draguer les filles. Août 1992. Anthony, 14 ans, et son cousin décident de voler un canoë - un peu de frisson ça ne peut pas faire de mal - pour aller voir ce qui se passe du côté de la plage naturiste. Vol, sang, adrénaline, coup de foudre, tel est le cocktail des premières pages de ce roman puisque le petit Anthony va tomber raide dingue amoureux de Stéphanie. Et c'est parti pour la valse-hésitation des sentiments, pour les errements amoureux. 

Hacine, Coralie, Steph, Anthony et les autres zonent à Heillange et ils ne rêvent d'ailleurs que d'un chose : en partir ! Vie calme des parents, vie morne des adolescents : menus larcins, drogue, alcool, beaucoup d'alcool, sexe.. tout est bon pour se donner des frissons. Mais au fond d'eux, ils savent très bien que leur vie ne vaut pas grand chose, qu'ils n'ont pas grand avenir dans ce bled, dans cette cambrousse. Pour quitter ces zones pavillonnaires ternes, les ZAC bétonnées, les friches industrielles abandonnées, il leur faut trouver (s'inventer ?) un ailleurs attirant, lumineux et séduisant. Pour l'un ce sera le service militaire, pour l'autre le Maroc et la dope, pour Steph ce seront les études à Paris. Elle est d'ailleurs la seule à s'extirper de ce marasme glauque et de cette France de l'entre-deux où il ne se passe rien.

Quatre parties, quatre étés, quatre chansons - de Smells Like Teen Spirit à I will survive, hymne de la Coupe du monde 98 - Nicolas Mathieu nous raconte le parcours de ces adolescents et de leurs parents, usés par le travail et la vie. Et elle n'est pas rose, cette vie qui s'enlise dans la médiocrité, la beaufitude, cette vie ponctuée d'apéros trop arrosés, de Picon bière, de coups de gueule et de bagarres. Sans oublier le mépris, l'amour fané et les rêves envolés des ex-midinettes de 18 ans.

C'est toute une époque, le récit d'une adolescence qui refuse un "à peu près", du "raisonnable" et qui veut vivre vite, à fond, s'oublier, s'échapper à toute vitesse. « De la vitesse, de l'oubli, à l'infini ». Entre rage et acceptation, entre déclin et élévation, entre jouissance et décence, le récit campe des personnages  agaçants, paresseux, indolents, minables parfois mais tellement vrais qu'ils en deviennent attachants.  Ce récit est aussi celui du désenchantement de la jeunesse incandescente, d'un adieu à l'enfance et d'un face à face avec une réalité crue et dure et implacable. Car il est aussi question de la panne de l'ascenseur social, du fossé qui ne cessera jamais d'exister entre les fils de prolos ou d'immigrés et les filles de petits bourgeois de province. Un livre rude et lumineux à la fois qui nous emporte aux côtés de ces jeunes pour qui on voudrait le meilleur mais que Nicolas Mathieu nous présente englués dans l'immobilité de la société. (9 avril)

 

L'ordre du jour est un récit qui évoque les coulisses de l'Anschluss du 12 mars 1938. Et si l'armée triomphante des nazis n'était finalement qu'un mythe et une jolie manipulation des foules par les images ? Une question qui entre singulièrement en résonance avec notre époque peut-être.


20 février 1933 au Reichstag, les patrons de tout ce que l'Allemagne compte d'industries florissantes - Krupp, Siemens, Bayer, Opel, etc…-  se retrouvent face à Goering. Tout nouveau président du Reichstag, il les toise et les prend de haut car, ce qui lui importe, c'est qu'ils financent les élections du 5 mars, en échange de la promesse de rétablir ordre et souveraineté en Allemagne - essentiels au bien-être de l'industrie. Ils sont donc 24 patrons, très chics et dont les intérêts vont rejoindre ceux du nouveau chancelier, Adolf Hitler qui daigne même leur rendre une petite visite. Et Eric Vuillard de rappeler : « Ils sont là, parmi nous, entre nous. Ils sont nos voitures, nos machines à laver, nos produits d'entretien, nos radios-réveil, l'assurance de notre maison, la pile de notre montre. Ils sont là partout, sous forme de choses. Notre quotidien est le leur », comme pour mieux souligner leur compromission avec un régime qu'ils ont soutenu pour la plus grand bien de leurs entreprises. Et l'auteur de nous raconter, non sans ironie et causticité, différentes scènes qui ont ponctué cette marche infernale et débridée vers l'Anschluss et tout le reste qu'annonce de manière prémonitoire la peinture de Louis Soutter reclus dans l'asile de Ballaigues : "un long ruisseau de corps noirs, tordus, souffrants, gesticulants ... Une grande danse macabre."
On a donc le récit du duel de dictateurs entre Hitler et Schuschnigg. C'est celui qui en impose le plus et éructe sans cesse qui écrase l'autre : l'autrichien après bien des atermoiements capitule. Vuillard évoque aussi le grain de sable dans la mécanique des panzer qui aurait pu ridiculiser l'invasion du voisin autrichien : une armée en panne et des panzer qui ont fait le déplacement sur des trains de nuit ! La scène cocasse au 10 Downing Street se fait grinçante. Lors d'un dîner von Ribbentrop, ambassadeur d'Allemagne en Angleterre n'a pas manqué de verve pour occuper l'espace de la conversation, rivalisant de prouesses tennistiques et abreuvant Chamberlain, Churchill et Cadogan de banalités et de fadaises pendant que l'Allemagne est tranquillement en train d'envahir l'Autriche. Comptant sur la grande (trop grande) politesse britannique, il a sans vergogne détourné Chamberlain de son travail et l'a empêché de réagir à la note du Foreign office qui lui annonçait cette terrible nouvelle. Toutes ces scènes sont autant de capitulations et de compromissions face aux rodomontades et à la grossièreté d'une bande de criminels violents et abjects. Cet échec des puissants et des hommes politiques s'oppose d'ailleurs à la dignité avec laquelle certains humbles, sans-grade, des Alma Biro, des Karl Schlesinger, des Helene Kuhner, des Leopold Bien ont, eux, choisi de se donner la mort pour résister à l'Anschluss.
 Un texte fort mené avec brio et intelligence qui pose constamment la question de l'ignorance ou  de la légèreté, de l'aveuglement ou de la crédulité, du laxisme ou du manque de courage des dirigeants de l'époque. (12 avril)

 

 

 


jeudi 7 janvier 2021

L'Anomalie : vertigineux !

 Cadeau d'anniversaire dont je pressentais que j'allais le dévorer, je n'ai attaqué la lecture du Prix Goncourt 2020 que dans les premiers jours de cette nouvelle année. Et quel plaisir de démarrer 2021 avec un opus si réjouissant ! On y plonge vite, on bascule dans une autre dimension et l'on déguste chaque chapitre. 

Quand le même avion atterrit deux fois à trois mois d'intervalle avec les mêmes passagers, cela pose bougrement question et bouleverse nos représentations de la réalité. Faille temporelle? invasion extraterrestre ? divergence spatio-temporelle ? la main de Dieu ?  Le Boeing 787, d'Air France de la ligne Paris-New York, s'est posé deux fois à 106 jours d'intervalle, en mars 2021 et en juin 2021. Comment expliquer, en effet, que le même vol Paris-New-York se duplique en quelque sorte ? Belle anomalie !

Ce roman choral met en scène Blake, tueur à gages très méticuleux, Slimboy, pop star nigérianne, homosexuel, Joanna Wasserman, avocate américaine, Sophia Kleffman une fillette inséparable de sa grenouille qui lui permet de mettre à distance les horreurs commises par son père, Adrian Miller, probabiliste, Meredith Harper, topologiste, Lucie Bogaert, monteuse de cinéma et André Vannier, architecte qui forment un couple au bord de la rupture, David, atteint d'un cancer du pancréas, stade 4 et  Victor Miesel, un traducteur, écrivain un peu abscons en mal de reconnaissance. 

L'alternance de personnages est, cette fois-ci, justifiée par la nécessité de faire exister les personnages les uns après les autres avant de les mettre en face de leur double. Cette alternance est traitée sur le mode de la variation puisque Hervé Le Tellier change de style avec chaque personnage qui devient comme une note sur une partition. Oulipien facétieux, l'auteur a, en effet, décidé de jouer avec les codes littéraires : le roman démarre de but en blanc comme un polar avec un tueur à gages qui multiplie savamment les identités et réussit d'une main de maître à ne jamais laisser de traces. On convoque aussi les codes des séries, des romans d'espionnage, romans plus classiques avec rupture amoureuse, moments d'introspection ou d’interrogation métaphysique, écriture blanche.....

Chaque chapitre nous permet donc de faire connaissance avec les passagers du vol dont le destin va basculer puisqu'ils vont ensuite rencontrer leurs doubles qui sont tout à fait eux sans l'être tout à fait. Et c'est sur cette crête que Le Tellier se tient magistralement, nous embarquant dans un tourbillon de faits à la fois probables et improbables. Et l'auteur, en plus de nous raconter une histoire abracadabrante et jubilatoire nous amène à réfléchir à des questions plus profondes : la question de l'identité, de la confrontation à soi, de l'acception du destin, du sacrifice. Et finalement, quel est l'essentiel dans nos vies ?

Un style clair et brillant, accessible néanmoins et une construction prodigieusement intelligente.

jeudi 17 décembre 2020

L'enfant céleste

 Rien que le titre et la couverture donnent envie de se glisser entre les pages de cet ouvrage. Quand, en plus, on vous annonce que c'est un livre lumineux, il n'y a plus à hésiter. C'est décidé, je plonge !... avec délices.

Mary peine à se remettre d'une rupture amoureuse dont elle a bien du mal à comprendre l'origine. Son amour l'a laissée avec son fils Célian, doux rêveur, petit garçons intelligent qui s'ennuie à l'école où une instit peu amène ne cherche pas à le comprendre. Autant dire que la vie de ces deux-là est un peu morose et que Paris leur pèse vraiment. Un jour, elle décide de s'éloigner, de partir loin pour mettre à distance tout ce qui pèse. Et les voici débarqués sur l'île de Ven, île légendaire de la mer Baltique. C'est sur cette île suédoise qu'à la Renaissance, Tycho Brahe – astronome dont l'étrange destinée aurait inspiré Hamlet – imagina un observatoire prodigieux depuis lequel il redessina entièrement la carte du Ciel.

Chaleureusement accueillis par leur hôtesse Solveig, Mary et son "petit tigre" vont se poser, prendre le temps de respirer, de faire ce dont ils ont envie... pour mieux se comprendre et se trouver. Ce séjour est l'occasion de belles rencontres : celle d'un universitaire anglais, que Mary baptise Des Esseintes, Solveig bien sûr, l'ours Björn et la nature sauvage et intacte. Autant de guides pour ces deux écorchés de la vie qui peinent à trouver leur place dans le monde. On y parle de Shakespeare, de Tycho Brahe et du ciel, des plantes, de la beauté du monde et des moments précieux. La rencontre avec cette nature préservée, sa contemplation et les découvertes qu'elle offre généreusement vont soigner ces deux âmes écorchées. 

De courts chapitres alternent le point de la mère plus grave (bien que parfois ironique) et celui du fils lumineux, sensible et subtilement intelligent. Une écriture très poétique, lumineuse et douce. Une bien jolie pépite !

 https://www.youtube.com/watch?v=b67ypSSq-nY&feature=youtu.be

 

"Je comprends enfin cette notion enseignée dans un cours de philosophie : l'aventure, plus qu'une interruption du cours des événements ou un voyage vers un ailleurs inconnu et exaltant, est surtout une disposition à être dans le temps.  "

samedi 12 décembre 2020

Les sept mariages d'Edgar et Ludmilla

 Retrouver Jean-Christophe Rufin est toujours un plaisir.

Cette fois-ci il nous conte l'histoire d'un éternel recommencement : Edgar et Ludmilla auront, en effet, passé une bonne partie de leur vie à se marier et à divorcer. Tout commence de manière rocambolesque avec leur rencontre improbable en Russie quand Ludmilla s'est réfugiée nue en haut d'un arbre (et leurs retrouvailles tout aussi improbables). On comprend dès lors que Rufin nous offre un conte, une fable sur l'amour et les difficultés d'aimer, et surtout les difficultés de toujours aimer de manière intense. Edgar et Ludmilla se sont donc mariés dans des lieux variés et à l'image de leurs tribulations (amoureuses, humaines et sociales) : consulats, mairies de quartier, cathédrale, chapelles du bout du monde. Ils n'ont jamais cessé de s'aimer mais n'ont jamais aussi cessé de courir après l'amour vrai, l'amour fou. Et cela passe par l'amour vache, l'amour froid, l'amour à distance. Exilée fantasque, aventurier charmeur et escroc, le couple ne manque pas de panache. Ludmilla finira par percer dans le monde de l'opéra et deviendra une grande cantatrice qui se produira sur de nombreuses scènes. Edgar, lui, est prêt à prendre une revanche sur le monde et n'hésite pas, pour ce faire, à monter des coups. A force d'être sur la corde raide, ils entraînent tous deux leur couple dans des tribulations dignes des montagnes russes. L'auteur, qui prétend avoir recueilli les confidences de ses beaux-parents, nous livre avec une certaine jubilation une traversée des années soixante à nos jours, doublée d'une réflexion sur la vie de couple. Une joyeuse épopée, un opéra tragi-comique, une lecture agréable portée par le style de Rufin. Peut-être un peu répétitif par moments mais on se prend au jeu à se demander ce que ces deux tourtereaux vont encore trouver comme bonne raison pour se séparer.... et se retrouver. Le dernier mariage est, de loin, le plus beau, le plus intime (malgré le nombre d’invités - autant de témoins de toute leur vie).

"Pour eux, c'était en somme : "ni avec toi, ni sans toi". A cause de cette impossibilité, ils ont inventé une autre manière de s'aimer. Pour tenter de percer leur mystère, je les ai suivis partout, de Russie jusqu'en Amérique, du Maroc à l'Afrique du Sud. J'ai consulté les archives et reconstitué les étapes de leur vie pendant un demi-siècle palpitant, de l'après-guerre jusqu'aux années 2000. Surtout, je suis le seul à avoir recueilli leurs confidences, au point de savoir à peu près tout sur eux. Parfois, je me demande même s'ils existeraient sans moi", Jean-Christophe Rufin.