"Il faut cultiver notre jardin"

mercredi 27 juillet 2016

Bizarre, bizarre

Avant les singes de Sibylle Grimbert est un livre plus qu'étrange.
La 4è de couverture laisse à penser qu'il peut s'agir d'une intrigue étonnante voire surprenante : pourquoi pas ? On suit alors Sabine pour un week-end en montagne à Zermatt en Suisse. C'est là que son époux doit recevoir un trophée pour une invention miraculeuse : la pilule yourself qui permet à chacun de laisser s'exprimer sa personnalité sans entraves ni complexe. Occasion pour elle d'échapper à une vie sur laquelle elle se pose des questions et d'échapper à l'influence de sa mère. 
Dès son arrivée, il se passe des choses étranges : elle croise deux femmes qui lui ressemblent beaucoup, et sa mère est la présidente de la soirée ! Et en plus elle semble très proche de ces deux sosies ! Jusque là, on se dit bizarre autant qu'étrange... mais pourquoi pas ?
Tout se complique lorsque les participants à la soirée prennent avec délice la fameuse pilule de Romain : et c'est là que tout se dérègle. Car oui il n'y a plus aucune règle rationnelle, on bascule dans un univers étrange plus guère en prise avec le réel....On suit Sabine, on s'accroche à elle en espérant comprendre ce qui lui arrive. La dimension fantastique, on connaît, on attend juste de mieux saisir la situation... mais rien. Sibylle Grimbert a fait le choix de nous embarquer dans une dimension fantastique, onirique, une 2è voire une 2è dimension - à la David Lynch. 
Ca se lit très bien, on est poussé par l'envie de comprendre mais un peu frustré à la fin.

mardi 26 juillet 2016

Nos contrées sauvages de Cate Kennedy


D'accord, on retrouve le principe d'alternance de points de vue entre les personnages mais- joie !- ces points de vue alterne à l'intérieur d'un même chapitre ! Ce qui permet de juxtaposer avec force les ressentis des personnages et, ainsi, de donner de la profondeur aux événements vécus. 
Sophie, adolescente gothique de quinze ans, part avec son père Rich faire un trek en Tasmanie pour une semaine. Jusqu'alors, rien d'étonnant ! Sauf que Rich, elle ne le connaît pas puisqu'il est parti à sa naissance. Cette randonnée, qu'il a organisée, sera, pour eux, un moyen de mieux se connaître, de faire connaissance. Cela n'est pas, bien sûr, sans soucier Sandy qui a élevé Sophie seule et voit d'un bien mauvais œil cet homme qu'elle a rayé de sa vie se rapprocher de sa fille. Voilà pour les protagonistes et ce triangle familial. Précisons que Sandy cultive son passé d'activiste en fabriquant des bijoux ethniques has been, en brûlant de l'encens dans son brûle-parfum et en refaisant le monde sans hommes avec ses copines aussi hippies qu'elle. Quant à Rich, il cultive son look d'aventurier, courageux et cool quand il aurait bien besoin de regarder avec lucidité sa vie, sa manière de faire des choix (ou de leur tourner le dos en prenant la poudre d'escampette) et sa recherche du cliché qui fera- enfin!-de lui un photographe reconnu mondialement. Bref, Sophie est peut-être la plus mâture dans la famille et, d'ailleurs, elle le montrera tout au long du parcours puisqu'elle s'est préparé avec beaucoup de sérieux (davantage que son père). Elle est ravie de ce trek qui va lui permettre d'échapper à l'amour envahissant de sa mère et de faire connaissance avec ce père sur lequel elle a projeté plein d'images. Distance et proximité, deux maîtres mots du roman. Pendant que Rich et Sophie s'engagent sur le chemin en compagnie de nombreux autres randonneurs, Sandy part en retraite spirituelle : mouvement et immobilisme, conversations à deux et conversation intérieure... Autant de contrepoints intéressants qui vont nous permettre de mieux cerner les protagonistes et de comprendre ce qui les rapproche et ce qui les éloigne à la fois.
Désireux de sortir des sentiers battus et de se retrouver seul avec Sophie, Rich décide, un jour avant la fin de la randonnée, de s'aventurer, avec l'assentiment de sa fille, sur une portion plus sauvage du parcours. Il est blessé (une pauvre ampoule due à ses chaussures neuves – erreur de débutant), fatigué et sans boussole. Fort de l'image de baroudeur qu'il cultive il fait fi des avertissements et les entraîne vers ce que l'on appelle « le labyrinthe ». Et le mauvais temps s'en mêle ! Ils se retrouvent perdus, dans le brouillard et doivent puiser dans leurs dernières forces pour attendre les secours.
Un très bon roman qui nous emmène dans les tréfonds de l'âme humaine et dresse une belle cartographie des « contrées sauvages » des différents personnages. Les dangers que Rich fait courir à sa fille auront permis aux parents et à leur fille de voir se cristalliser leurs sentiments, de faire le tri dans leurs ressentis. Amour, haine, admiration, affection, agacement, distance et rapprochement....tout cela forme un véritable cocktail explosif mais, au final, bien mélangés, ils permettent aussi d'accéder à davantage de compréhension mutuelle et de sérénité.

samedi 23 juillet 2016

Arlington Park de Rachel Cusk

Banlieue résidentielle anglaise plutôt chic, Arlington Park fait penser
au quartier des desperate housewifes. Car oui, les femmes dont nous suivons les pensées et atermoiements ne sont pas loin d'être les inspiratrices des héroïnes de la fameuse série. Juliet Randall, Maisie Carrington, Amanda Clapp, Solly Keir-Leigh ont pourtant tout pour être heureuses : des époux (pas toutes), des enfants, de jolies maisons, de bonnes situations sociales, certaines des métiers où elles s'épanouissent.... Elles ont le temps de se voir autour de cafés, de discuter chiffons, de faire les magasins entre copines et d'organiser des dîners pour leurs amis. Oui, en apparence, mais quand l'auteur nous fait rentrer dans leurs têtes, là c'est le chaos, la confusion, leurs doutes qui nous assaillent. En fait, ces femmes n'en peuvent plus de leur vie trop bien rangée, étriquée, pétrie d'habitudes. Elles n'en peuvent plus de leurs enfants, de leurs corps abîmés par les maternités, par l'absence de regard de leur conjoint. Elles n'en peuvent plus de cette hypocrisie qui dicte la conduite de tous ces gens qu'elles côtoient, qu'elles reçoivent... Ainsi, on entre successivement dans la cuisine toute pimpante et gigantesque de l'une, on suit l'autre au supermarché, dans une cabine d'essayage, et on suit le maelström de pensées qui les assaillent.
C'est la vie de couple, la vie de famille et la vie de quartier qui sont dynamitées de l'intérieur : vision lucide et désabusée, présentée avec une certaine drôlerie par l'auteur. On aurait seulement voulu que le roman se termine par une décision tranchée : quittent elles ou non le champ de bataille décrit au fil des pages ? poursuivent-elles leur vie ou l'abandonnent-elles ?

mardi 19 juillet 2016

Les vieux ne pleurent jamais

Une couverture alléchante : une dame d'un certain âge, en robe fleurie, qui se prélasse et cueille le temps sur un ponton, un casque vissé sur les oreilles. On se dit "chouette, ça peut être sympa". 
Et on plonge dans le roman dont l'héroïne principale, Judith, veuve de 70 ans, vivote à Brooklyn. Son époux Herb semble avoir laissé un grand vide dans sa vie que peinent à combler les apparitions enjouées de son amie Janet. Elles partent en voyage organisé et souffrent le martyre, peu habituées à être menées à la baguette et à se laisser dicter leur conduite. Ce sera quand même, pour elles, l'occasion de discussions franches sur leur âge, sur leur vie. Puis, Judith que ce voyage a renvoyé à son âge, décide d'entreprendre un voyage en France pour retrouver son frère. En effet, dès le début du roman, en feuilletant Voyage au bout de la nuit, elle est tombée sur une photo qui l'a ramenée cinquante ans en arrière. Ressurgissent alors toutes sortes de sentiments : tendresse, ressentiment, haine, dégoût..... Comme si elle voulait recoller les morceaux de sa vie avant qu'il ne soit trop tard Judith s'embarque pour un périple qui la ramène dans sa patrie qu'elle a quitté sur un coup de tête et, on le pressent, suite à des événements violents. Mais lesquels ? Le suspense sera levé dans les dernières pages, sorte de révélation bien orchestrée (un peu trop facilement cousu de fil de blanc) à la fin du roman qui abandonne les deux mamies à leur vie.
Un roman agréable à lire mais inégal : certains passages semblent longs et peu en rapport avec d'autres comme le voyage organisé mais c'est à la fin que l'on comprend que Judith étouffe dans sa vie réglée et morne. L'ancienne actrice aime les sensations fortes mais ne supporte ni les faux-semblants ni l'intolérance liée aux préjugés et au racisme.
Au final, un portrait de femme plutôt intéressant mais qui aurait pu être mieux exploité. Un bon moment de lecture, malgré tout.

lundi 18 juillet 2016

le charme discret de l'intestin

Une couverture sympa que tout le monde n'a cessé de voir depuis le début de l'année dans les rayons des bibliothèques ou des librairies.

Un petit coup d'oeil dedans et me voilà partie pour une plongée fort intéressante au coeur de nos entrailles pour mieux en comprendre le fonctionnement.
Visite guidée du circuit interne par lequel passe la nourriture que nous ingérons : de la bouche jusqu'à l'anus en passant par les méandres de l'intestin peuplé de bactéries et d'enzymes prêts à attaquer la transformation des aliments en nutriments tout aussi efficaces pour le corps, le coeur, les muscles, les os....
On y apprend non seulement comme notre deuxième cerveau fonctionne mais on y trouve aussi  quelques conseils avisés : la meilleure position pour déféquer, de la nécessité de se brosser les dents matin et soir (au moins),  les aliments prébiotiques - poireau, artichaut, asperge, endive, topinambour, ail oignon, panais..... - , de la mauvaise sur-consommation des antibiotiques etc....
C'est de la vulgarisation réussie : c'est écrit avec humour mais le propos reste sérieux, l'auteur s'est associée à sa soeur, graphiste, dont les dessins rigolos ponctuent les textes et l'expliquent.

dimanche 17 juillet 2016

Apaise le temps

Je l'avoue, je n'avais jamais rien lu de cet auteur - dont je connais pourtant le nom, Michel Quint. Jolie découverte que ce petit opuscule hommage aux librairies et à la lecture.
L'auteur nous embarque pour une plongée dans la ville de Roubaix, ville de misère et de chômage et, plus particulièrement dans les rayonnages d'une antique librairie, Livres.
Yvonne Lepage, qui officie dans sa petite boutique coincée à l'ombre de l'hôtel de ville, est décédée. Et avec elle, c'est tout un pan de la vie d'Abdel, Saïd et Zita qui s'effondre. Yvonne c'était la libraire, celle qui donnait accès aux livres et au savoir, à la lecture, à l'écriture, tout comme ses parents avant elle. D'ailleurs, c'est grâce à elle qu'Abdel a pu lire tous les classiques, entre autres. D'ailleurs, "Abdel est entré pour la première fois entre les murailles de bouquins vers ses cinq ans avec une soif de lecture à avaler tout Balzac sans rien y comprendre." Saïd, le kabyle, c'est celui qui est fier d'avoir appris à lire avec Georges Lepage et qui collectionne avec délice les nouveaux mots dans son grand cahier qui ne le quitte jamais. Zita, l'albanaise, c'est la vendeuse tentée par les sirènes de Repères.
Lorsqu'à la mort d'Yvonne, Abdel Duponchelle apprend qu'il est le seul légataire, il n'hésite pas longtemps ou plutôt, il se sent "obligé" et l'obligé de cette hussarde des lettres et accepte l'héritage. Et quel héritage à l'heure où cette grande librairie inhumaine et commerciale s'installe à Roubaix pour vendre les derniers ouvrages qu'il faut avoir lus ("un roman avec du cul dedans, tu sais le gris nuancé, les bâtards du sexe") en méprisant les classiques et les contemporains (Claudel, Martinez, Chalandon, Garat...) ? Mais tant pis, parce que c'est un peu grâce à elle qu'il est devenu professeur agrégé de lettres au lycée, Abdel, dont le père français a connu le coup de foudre pour sa mère à Oran, accepte qu'Yvonne l'ait considéré comme son héritier. 
Commence alors, comme il se doit, un grand ménage, un tri dans les affaires doublé d'un inventaire pour mieux saisir l'ampleur des dettes. Dettes d'argent mais aussi dettes de coeur. Car autour d'Yvonne et de ses parents gravitent des habitués, des qui ne savent pas toujours lire, des gens qu'on aide, des engagés, des partisans, des amants.... Tout cela, Abdel va le découvrir grâce aux archives photographiques d'Yvonne la photographe. Et c'est une page de l'histoire qui se réouvre avec ses blessures, ses fêlures et ses cassures lorsqu'Abdel, aidé de Saïd qui a vécu cette époque jusque dans sa chair (il a été touché à la jambe dans l'attaque du bar où Georges Lepage a trouvé la mort) : la guerre d'Algérie. 
La boîte de pandore est ouverte mais elle permettra de mieux comprendre le passé, de mieux cerner Yvonne, de découvrir Rosa l'assistante sociale du lycée, sauvage et tendre et de mettre des mots sur des maux.
 A la fin de l'histoire on sait que répondre à la question que pose le narrateur sur la décision d'Abdel :  "Fidélité à la mémoire des Lepage, à leur oeuvre d'accueil, dette humaine envers Yvonne, militantisme culturel et social pour le maintien des librairies de quartier, ou orgueil de gamin écartelé,vengeance de bougnoule blond comme on l'insultait au collège ?" C'est un peu tout à la fois et cela permet d'avancer. 
Un bel hommage à la force des mots, des images et des souvenirs mais aussi une incitation à résister en s'entraidant. Où l'on comprend que "Relier, c'est bien, ça parle des gens et des livres qu'on relie, qu'on relit".

dimanche 10 juillet 2016

Début de vacances studieux

Décidément Catherine Meurisse est une grande dame de la BD.
Je me suis délectée de son Mes hommes de lettres qui permet de balayer six siècles d'histoire littéraire avec humour, légèreté et subtilité. Elle campe admirablement les auteurs, résume efficacement leur oeuvre et leur style. 
De la légèreté certes mais du contenu également car Catherine Meurisse a des lettres ! Elle rappelle des anecdotes célèbres, livre quelques détails sur les auteurs qu'elle a choisis de présenter. 
J'ai beaucoup aimé La Pléiade rapprochée des Beatles


Racine et sa Phèdre


 
 
Voltaire versus Rousseau, Hugo en chef révolté du Romantisme,la Madeleine de Proust.....





On croise Sartre et Beauvoir qui suivent d'un regard distancié leur époque et la BD se termine sur une surprise party des mieux fréquentées : Sagan, Vian, Camus, Pérec, Duras, Gary, Queneau, Prévert, Ionesco, Giono, Pagnol… Un vrai festival ! 
A mettre entre toutes les mains des lycéens de France pour les rabibocher avec l'histoire littéraire !