"Il faut cultiver notre jardin"

dimanche 23 juillet 2017

Danser les ombres

Laurent Gaudé nous emmène à Haïti et nous plonge avec délicatesse dans la culture de cette île où les vivants, les morts et les esprits cohabitent.

Un matin de janvier, la jeune Lucine arrive de Jacmel à Port-au-Prince pour y annoncer le décès de sa soeur mère de deux jeunes enfants. Elle remet les pas dans sa jeunesse, réentend les échos des manifestations étudiantes qu'elle a suivies avec ses amies et, très vite, sent qu'elle ne repartira pas.  Elle a donné cinq ans de sa vie à ses neveux et entend prendre un nouveau départ. Ayant rendu visite à la vieille Viviane, mère d'Emeline son amie tombée sous les coups de son bureau, elle retrouve Saul, le médecin raté qui végète et se cache. Hébergée dans une ancienne maison close, elle rencontre un groupe d'amis unis par leurs conversations, leurs parties de dominos et les bons moments qu'ils partagent simplement. Au bordel du Fessou, la vie se croque à pleines dents, avec bonheur et douceur, elle sent le rhum et la soif de révolution.
Jusqu'au 12 janvier, date à laquelle la terre a décidé de trembler et de faire remonter sur terre les esprits. Séisme, fractures, failles, éboulements, Gaudé nous immerge dans la catastrophe : des pans de murs s'écroulent, des bâtiments entiers, les rues s’entrouvrent, les entrailles de la terre sont béantes, la poussière envahit tout, les cris des vivants se répondent. C'est la panique mais c'est aussi un sursaut d'énergie et de dignité puisque tout le monde s'affaire pour essayer d'aider. Solidaire, la population se redresse et panse ses plaies. C'est ce que feront d'ailleurs Saul, Lucine et leurs amis chez la vielle Viviane qui a ouvert sa propriété pour recevoir les démunis - comme un signe pour matérialiser le fait qu'elle reconnaît en Saul son fils. Véritable course contre le tremblement de terre.
Course contre la mort, course pour la vie, course pour s'aimer, course pour apaiser les morts en faisant danser les vivants.
D'abord on suit Lucine, on découvre Port-au-Prince, ses rues, ses habitants et ses odeurs, -voyage pour les sens, voyage pour les coeurs. Haïti se révèle avec ses faiblesses, sa misère mais aussi sa dignité et sa force, terre d'espoir éprise de liberté et de justice. Le séisme laisse la ville exsangue, brisée mais aussi plus vivante des ombres de ses morts qui reviennent visiter leurs proches. Gaudé, chef d'orchestre des traditions vaudoues qu'il reprend à son compte, fait alors se côtoyer morts et vivants, fantômes et rescapés se gardant bien d'éclairer la frontière ténue qui les sépare. Sublime danse macabre qui, comme un bouquet final, permet de réconcilier les rescapés et ceux qui ont sombré, tragique prise de conscience pour ceux qui ont réussi à dérober quelques miettes de vie supplémentaires.
Un hymne à la fraternité, au bonheur et à la nécessité d'être là pour ceux que l'on aime - quels qu'ils soient. Envoûtant et captivant.

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